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Ce qui rend un scandale scandaleux

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Section: Media Analysis Geography: Canada Haiti Topics: media

January 23, 2006

Ce qui rend un scandale scandaleux

Les médias et l'appartement de Pierre Pettigrew, rue Aristide Bruant

by Dru Oja Jay

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Pierre Pettigrew est mis en présence d'un rapport de l'Université de Miami dénonçant les violations des droits de l'homme par la police haïtienne, entraînée par la GRC. En juin, P. Pettigrew a fustigé le rapport, le qualifiant de « propagande ».photo: Dru Oja Jay

Ces derniers mois, le ministre des affaires étrangères, Pierre Pettigrew, a été sous les feux de la presse pour sa présumée mauvaise gestion de l'argent publique. Les critiques, qui l'accusent de passer trop de temps à Paris et d'emmener son chauffeur dans ses voyages à l'étranger, semblent assez sérieuses. Des « bruits venant de l'intérieur du gouvernement et faisant mention de son limogeage » ont d'ailleurs été entendus.

En lisant les passionnants commentaires autour du rapport de dépenses, le plus intéressant à propos de cette affaire qui a éclaboussé le bureau de P. Pettigrew est de voir les médias la considérer comme un écart de fin de carrière et nullement comme un scandale.

Comment les médias décident de ce qui est ou non scandaleux ? Certes, il n'est pas aisé de répondre, mais à voir les angles de traitement de la plupart des reportages, on est au moins renseigné sur les priorités des journalistes canadiens.

Dans un article publié le 4 septembre dans le quotidien Ottawa Citizen, Glen McGregor examine les habitudes parisiennes du ministre. Un journaliste envoyé à la rencontre de P. Pettigrew dans son appartement situé dans le quartier de Montmartre, l'a trouvé en compagnie de représentants de l'industrie du bois d'œuvre et d'anciens collaborateurs de son cabinet. Le reportage finit en spéculant sur la possible mutation du ministre à un poste diplomatique, au bénéfice de Stéphane Dion.

La semaine suivante, P. Pettigrew a été soupçonné d'avoir fait bénéficier son chauffeur de ses voyages en Europe et en Afrique du Sud pour un montant de 10 000 $. Cette nouvelle a fait la Une du Globe and Mail et l'objet d'un entretien sur les ondes de CTV Canada, pour ne citer qu'eux.

Le 20 septembre, Dan Maclean assure la couverture du sujet avec un reportage de Louise Elliot et Paul Welles. Ils écrivent que P. Pettigrew d'un « blondinet libéral fédéral trié sur le volet » est devenu « le membre le plus contesté du gouvernement ». Ses faux pas à répétition sont ainsi l'objet d'une analyse minutieuse dans le reste de l'article.

Le déploiement journalistique se fixant sur l'examen des récents déplacements du ministre –un journaliste à Paris, des douzaines de témoignages anonymes venant du gouvernement- suggère bien plus qu'une ordinaire ténacité du travail d'enquête.

Une telle obstination à l'endroit du cabinet d'un ministre n'est pas le fruit du hasard. Il est probable qu'on se trouve au cœur d'une lutte politique interne pour un réalignement du parti libéral –ce qui expliquerait les prétendues rumeurs citées à la Une du Globe.

Se prélasser à Paris, payer aux frais du contribuable des excursions à son personnel de fonction sont des allégations sérieuses, mais le sont-elles assez au point de lancer une armada inquisitrice sur les allées et venues d'un ministre. Il faut d'autres motifs pour justifier ce genre de comportement.

Reprenons le même personnage et resituons la critique. P. Pettigrew a manifestement nié avoir eu connaissance du massacre de manifestants par une police entraînée et supportée par la GRC qui, elle, agit sous l'autorité du ministre. P. Pettigrew a également qualifié de « propagande » un rapport de cinquante pages sur les droits de l'homme.

Le manque de connaissance sur le dossier haïtien dont il était responsable évoque au mieux un signe d'incompétence et au pire un mensonge patent. Peut-être que ces lacunes citées par Reuters, Associated Press et CBC, devraient alarmer les chiens de garde de la démocratie au Canada. Et l'un d'entre eux pourrait penser que l'incompétence affectant une politique en matière de vie et de mort devrait être traitée avec plus de gravité et d'acharnement qu'une simple affaire de voyage.

En fait, les critiques sont restées muettes, le vrai problème n'a pas été abordé avec intérêt et, comme le lecteur a assurément deviné, la situation n'est pas du tout hypothétique.

Lors d'une conférence de presse à Montréal, le 20 juin, Le Dominion a demandé à P. Pettigrew si le Canada portait une quelconque responsabilité lorsque la Police Nationale Haïtienne (PNH), entraînée, cautionnée puis dirigée par la GRC, vise et tue des manifestants pacifiques qui réclament le retour de Jean-Bertrand Aristide – ce président élu qui a été enlevé à la suite d'un coup d'état financé et mené par les Etats-Unis, la France et le Canada.

« Je pense que la police haïtienne fait de son mieux dans des conditions extrêmement difficiles. Evidemment, le Canada ne fermera pas les yeux sur des activités qui ne respecteraient pas la loi », a réagit P. Pettigrew.

Le Dominion le questionnant sur la violence policière rapportée par les agences Associated Press et Reuters, il répond que si « elle existe », il n'en a « pas pris connaissance ». Et il poursuit en dénigrant un rapport sur les droits de l'homme rédigé par un groupe de l'Université de Miami : « Je pense absolument qu'il s'agit ici de propagande et qu'il n'a aucun intérêt ». Pour sa part, le rapport conclut à une campagne massive de répression politique menée par la police haïtienne, entrainée comme on le sait par les forces canadiennes.

Ce dernier commentaire du ministre mérite notre attention car il vient contester des faits bien avérés. Et cette ignorance concernant l'évolution de la situation à Haïti relève de l'incroyable.

Pourtant, les exemples ne manquent pas. Le Miami Herald du 1er mars écrit : « Lundi, la police haïtienne a ouvert le feu sur les paisibles manifestants, faisant deux morts (…) ». L'Associated Press souligne le 7 avril que « la police a tiré sur les manifestants venus réclamer la libération de détenus (…), tuant au moins cinq d'entre eux ». A son tour, Reuters rapporte la mort de 25 personnes lors d'une descente de police.

Ces articles recueillent de nombreux témoignages dont ceux d'officiels onusiens. Mais, curieusement, Juan Valdez, l'envoyé spécial de l'ONU en Haïti, qui se tenait alors aux côtés de P. Pettigrew a déclaré ne pas être au courant de ces affirmations venant pourtant de responsables des Nations Unies.

La salle était bondée de journalistes, mais aucun rapport de presse ou article n'a fait mention par la suite de la réaction de P. Pettigrew.

Il est fort peu probable que P. Pettigrew puisse justifier son discours avec raison. Dans ce cas, le profond manque d'intérêt de la presse montre qu'en présence de mensonge et d'incompétence certains scandales en valent mieux que d'autres.

Indiscrétion privée et détournement de fonds attirent plus l'attention surtout s'ils apparaissent du côté perdant d'une lutte politique interne. Et lorsque l'incompétence et le mensonge affectent directement une politique, ils ne semblent pas influer sur la carrière du politicien.

Espérons au moins que les journalistes investissant l'appartement de P. Pettigrew à Paris auront noté toute l'ironie contenue dans le nom de la rue : Aristide Bruant.

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